Naissance des premières molécules organiques complexes

Anne LAFOSSE, est professeur de Chimie Physique de la Faculté des Sciences d ’Orsay, Université Paris­Sud 11.Elle a débuté ses travaux de recherche auprès du synchrotron LURE et a contribué à la mesure expérimentale des caractéristiques de la fonction d ’onde de l ’électron éjecté par les molécules constitutives de l ’atmosphère soumises à des rayonnements UV (photo ionisation dissociative).

En 2001-2002, elle a travaillé au sein du département de Chimie Physique au Fritz-Haber-Institut der Max­Planck-Gesellschaft dirigé par G. Ertl à Berlin, sur les mécanismes élémentaires de surface impliqués dans la synthèse de l’ammoniac sur catalyseur de Ruthénium.

Depuis 2002, elle est membre du groupe « électrons-solides » du Laboratoire des Collisions Atomiques et Moléculaires de l ’Université Paris-Sud 11. Elle a pris part aux travaux mettant en œuvre les électrons de basse énergie (0-20 eV) en tant que particules-sonde d’une surface solide et en tant qu ’agent inducteur de réactions chimiques. Elle participe activement à de nombreuses collaborations européennes.

Comment expliquer l’existence de molécules organiques complexes (contenant à la fois des atomes de carbone, d’oxygène et d’azote) dans les régions interstellaires ? Quel(s) chemin(s) mène(nt) des atomes et ions aux molécules prébiotiques et aux molécules du vivant ? Sur quels précurseurs reposent-ils ? Les modèles astrochimiques ont démontré que l’existence de nombreuses molécules relativement communes ne peut pas être expliquée par une chimie ayant lieu uniquement en phase gazeuse. Ces espèces sont générées par des processus chimiques en surface de grains de poussière interstellaires et au sein des couches de molécules qui s’y trouvent physisorbées, appelées manteaux de glace ou glaces interstellaires. Ces grains sont soumis à des processus thermiques et à des rayonnements ionisants UV et cosmiques.

Les molécules accrétées peuvent alors réagir tout en restant à la surface des grains, ce qui mène à la formation de radicaux et de molécules complexes au sein des manteaux de glace.

Une autre alternative pour elles est de s’évaporer et ainsi d’alimenter le milieu gazeux en molécules susceptibles de réagir avec d’autres espèces. A l’heure actuelle les contributions relatives et la synergie des processus ayant lieu en phases gazeuse et solide et menant à l’augmentation de la complexité chimique ne sont en grande partie pas expliquées.

Il n’est pas possible d’observer les processus chimiques et physiques directement dans les environnements stellaires, en particulier parce que les échelles de temps concernées sont bien trop longues (105-106 années) pour nous, observateurs. Cependant, au laboratoire, il est possible de recréer des environnements modèles et d’établir empiriquement des mécanismes de réaction (accompagnés si possible de leurs sections efficaces et barrières d’activation) gouvernant l’évolution chimique et physique de tels systèmes. Les données empiriques obtenues permettent d’alimenter les modèles astrochimiques mis en œuvre pour comprendre l’évolution chimique du milieu interstellaire.

L’objectif est de suivre les processus de synthèse et décomposition d’espèces moléculaires assez simples, avant d’aborder la question plus difficile des chemins réactionnels potentiels menant à la formation de matériel pré biotique. Vraisemblablement, la génération de molécules complexes est contrôlée par seulement quelques chemins réactionnels et le laboratoire est un environnement idéal dans lequel il est possible d’isoler et d’identifier ces processus clés. Les dispositifs expérimentaux utilisés combinent généralement les techniques d’ultravide (Pbase : ~5 x 10-11 Torr), de cryogénie à l’hélium liquide (Travail : ~25 K), de spectroscopie vibrationnelle (IRTF, HREELS) et d’analyse par désorption programmée en température (TPD). Des glaces mixtes de molécules simples (H2O, CO, CO2, NH3, CH3OH, HCOOH...) y sont soumises à l’action de rayonnements UV, de protons énergétiques ou d’électrons de basse énergie. L’objectif est d’identifier, de comprendre les mécanismes mis en jeu, et autant que possible de quantifier la formation de molécules contenant des fonctions chimiques complexes, des fonctions amide ou acide par exemple.