L'anti-hydrogène, l'atome que l'Univers n'a pas pu faire
Niels Madsen
N.Madsen@swansea.ac.uk
Department of Physics, Swansea University, SA2 8PP Swansea, United Kingdom
Au début du temps il n’y avait que de l’énergie, l’univers étant
trop chaud pour que la matière ait pu exister. Quand finalement
la température était assez basse, la matière et l’antimatière
se sont formées en symétrie, l’antimatière étant comme une image
miroir de la matière. Mais quelque chose a dû arriver peu après,
étant donné qu’aujourd’hui il n’y a plus d’antimatière dans l’univers.
C’est ce mystère que nous cherchons à éclaircir.
L’anti-hydrogène est l’atome d’antimatière le plus simple. Il n’existe
pas dans la nature, et il n’a jamais existé avant que l’homme ait décidé
de le créer. En faisant des comparaisons entre l’anti-hydrogène et l’hydrogène,
on espère contribuer à la compréhension de ce mystère.
Comme les antiatomes n’existent pas, il faut d’abord les créer à partir
d’antiprotons et d’antiélectrons. Mais créer de l’antimatière demande
beaucoup d’énergie ; la fameuse équation d’Einstein E = mc2. L’énergie
requise est 1000 fois plus élevée que l’énergie dégagée lors de la fusion
de deux atomes d’hydrogène. Ce processus est celui fournissant au soleil
son énergie. La création d’antimatière ne peut donc se faire que par
petites quantités, environ un millier d’atomes à la fois.
Un atome d’hydrogène est constitué d’un proton et d’un électron.
L’anti-hydrogène est donc constitué d’un antiproton et d’un antiélectron
(positon). Les antiprotons sont les plus massifs et pour les créer, il
faut un grand accélérateur de particules. Les expériences se font pour cette
raison au CERN à Genève. Le positon, étant beaucoup moins massif, est produit
naturellement dans certaines désintégrations nucléaires, et il est relativement
facile de le récupérer directement d’une telle source radioactive.
L’expérience ALPHA (Antihydrogen Laser PHysics Apparatus) a réussi à
combiner des antiprotons à des positons de manière à créer de l’anti-hydrogène.
Il faut néanmoins encore pouvoir le stocker en l’isolant, car s’il entrait en
contact avec de la matière, il s’annihilerait et libèrerait toute son énergie.
Comme l’anti-hydrogène est neutre, il n’est pas sensible aux champs électriques,
utilisés pour guider les antiprotons et les positons. Un atome d’anti-hydrogène
génère par contre un petit champ magnétique, et celui-ci peut être utilisé pour le
piéger. Une espèce de piège peut donc être construit à l’aide de champs magnétiques
externes. Un tel piège est néanmoins très peu profond. Exprimé en température, la
profondeur maximale du piège est de 1 degré au dessus de zéro absolu. Ceci pose
donc de très grandes difficultés pratiques pour stocker l’anti-hydrogène. Nous
allons voir comment nous avons réussi à piéger plus de 300 atomes d’anti-hydrogène,
malgré le fait que nous n’arrivons à en piéger qu’un seul par expérience.
Le but de notre expérience est de comparer l’anti-hydrogène avec l’hydrogène.
Les spectres atomiques des deux atomes doivent être identiques. Cette hypothèse
est au cœur des lois de la physique, et une différence même infime engendrerait
des changements profonds dans notre compréhension de l’Univers. Une telle différence
pourrait expliquer l’absence d’antimatière dans l’Univers.
Un grand pas vers des mesures de précision de l’anti-hydrogène a été franchi en
2012, en effectuant pour la première fois une transition quantique dans l’antiatome.
En utilisant des micro-ondes, le champ magnétique de l’antiatome a pu être influencé
de telle manière à ce qu’il change de direction. L’antiatome n’était ainsi plus
dans une configuration permettant au champ magnétique de le piéger, et a pu quitter
le piège. Cette expérience a pu être réalisée avec un seul atome à la fois, et nous
avons pu jeter un premier coup d’œil sur la structure d’un antiatome.
- M. Charlton, S. Eriksson, C. A. Isaac, N. Madsen and D. P. van der Werf,
Antihydrogen in a bottle , Physics Education 48, (2013) [ doi:10.1088/0031-9120/48/2/212].
- N.Madsen,Cold antihydrogen: a new frontier in fundamental physics,
Roy. Soc. Phil. Trans A, 368, 3671 (2010) [DOI: 10.1098/rsta.2010.0026].
- M. Charlton, S. Jonsell, L. V. Jørgensen, N. Madsen and D.P. van der Werf,
Antihydrogen for precision tests in physics , Contemporary Physics 49 (2008).
Niels Madsen est professeur associé à l’université de Swansea en Royaume-Uni.
Originaire du Danemark, où il a fait son doctorat en physique expérimentale
à l’Université d’Aarhus en 1998, il a ensuite passé trois ans au CERN comme boursier.
En travaillant sur le décélérateur d’antiprotons, il a commencé à
s’intéresser à la physique de l’anti-hydrogène. En 2002, avec la collaboration ATHENA,
il a réussi à faire les premiers atomes d’anti-hydrogène à basse énergie. En 2005,
il a fondé avec d’autres collaborateurs la collaboration ALPHA.
En 2010 l’expérience ALPHA a réussi à piéger les premiers atomes d’anti-hydrogène,
et en 2011 ceux-ci ont pu être maintenus dans le piège pendant 16 minutes. Cette
réussite leur a permis de faire en 2012 les premiers pas vers la spectroscopie
en faisant la première transition quantique dans un antiatome.
En 2010, Niels Madsen était boursier senior dans la société royale
(Royal Society Senior Leverhulme Fellow), élu pour ses exploits dans les préparations
pour la capture des antiatomes, et en 2011 il a reçu le médaille James Dawson pour l’excellence
dans la recherche dans la physique des plasmas pour le même travail. Il est Fellow dans
l’Institut de Physique (IoP) et membre de l’APS (American Physical Society).